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TitreDictionnaire historique et critique
AuteursBayle, Pierre
Date de rédaction
Date de publication originale1697
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, art. « Apelles », p. 299-300

Note D. On pourroit me persuader plus facilement la liberté dont on dit[[3:Idem Aelian. l. 2 c. 3.]] qu’Apelles usa envers Alexandre dans une autre rencontre. Alexandre ayant examiné son portrait qu’Alexandre venait de faire, ne le loüa point selon son mérite. Peu après on fit venir un cheval qui hennit à la vue du cheval du même portrait comme s’il eût vu un vrai cheval. Sire, dit alors Apelles à Alexandre, on diroit que ce cheval se connoît mieux en peinture que ne fait vôtre Majesté. Mais pour dire franchement ce que j’en pense ; je trouve tout cela trop dur, trop grossier et trop brutal, pour l’attribuer à un peintre qu’on me représente ailleurs comme un homme doux, civil et poli. Il faut être ou sur le pied de bouffon dans une cour, ou avoir cette humeur bizarre et capricieuse que l’on voit assez souvent dans les artistes les plus consommez, il faut, dis-je, recourir à l’une ou à l’autre de ces deux suppositions, pour croire ce que l’on conte d’Apelles non seulement envers Alexandre, mais aussi envers ce Megabyze que l’or et la pourpre faisoient respecter. 

Le discours d’Apelles à Alexandre au sujet du cheval qui avait henni, est plus honnête dans les traductions de quelques savans, qu’il ne l’est dans l’original ; mais cette addition d’honnêteté ne leur fait gueres d’honneur : c’est une faute, c’est une ignorance. Voyons le grec[[3:Aelian. l. 2 c. 3.]] : ̓Αλέχανδρος θεασάμενος τὴν ἐν ᾿Εφέσῳ εἰκόνα ἑαυτοῦ τὴν ὑπο Ἀπελλοῦ γραφεῖσαν οὐκ ἐπῄνεσε κατὰ τὴν ἀξίαν τοῦ γράμματος. Εἰσαχθέντος δὲ τοῦ ἳππου καὶ χρεμετίσαντος πρὸς τὸν ἳππον τὸν ἐν τῇ ἐικόνι ὡς πρὸς ἀληθινὸν καὶ ἐκεῖνον, ὦ βασιλεῦ (εἶπεν ὁ Ἀπελλῆς) ἀλλ’ ὅγε ἵππος ἕοικέ σου γραφικώτερος εἶναι κατὰ πολύ. Voici de quelle manière Érasme[[3:In Apophteg.]] rapporte ce fait : Apud Ephesum cum Alexander conspectam effigiem ui corporis ad vivum magna arte expressam admiraretur, atque interim forte equus inductus picto in eadem tabula equo adhinniret, deceptus imitatione, Apelles, equus, inquit, ô Rex, multo melius expressus est quam tu. Je laisse là les circonstances qu’Érasme rapporte sans les avoir trouvées dans Élien, je m’arrête à la reflexion qu’il fait faire au peintre : Sire j’ai beaucoup mieux reüssi à peindre vôtre cheval qu’à peindre vôtre Majesté. Ce n’est point le sens du grec ; un savant critique[[3:Paulus Leopardus Emendationum l. 12 c. 4.]] a montré que γραφικός signifie un homme qui entend la peinture, et il a convaincu par là Coelius Rhodiginus et Erasme d’avoir très-mal rapporté cette histoire. Je m’étonne que Pline l’ait ignorée, lui qui rapporte quelque chose touchant le hennissement d’un cheval. Voyez ci-dessous la remarque M.

M. Moreri […] n’a pas bien rapporté ce qui concerne (K) la peinture d’un cheval. 

Note K. Les anciens auteurs ont parlé avec grande estime, dit M. Moreri, d’un cheval tiré tellement au naturel par Apelles, que les juments hennissoient en le voyant. Je ne pense pas qu’aucun ancien écrivain ait dit cela ; mais voici ce que Pline nous apprend[[3:Lib. 35 pag. 213.]]. Est et equus eius, sive fuit, pictus in certamine, quo iudicium ad mutas quadripedes provocavit ab hominibus. namque ambitu praevalere aemulos sentiens singulorum picturas inductis equis ostendit: Apellis tantum equo adhinnivere, idque et postea semper evenit, ut experimentum artis illud ostentaretur. Cela veut dire qu’Apelles disputant contre quelques autres à qui peindroit mieux un cheval, et se defiant de l’intégrité des juges, aima mieux commettre sa cause à la decision des bêtes ; on fit entrer des chevaux ; ils ne hennirent qu’à la vuë de l’ouvrage d’Apelles. Quelques-uns[[3:Shefferus in Ælien. Var. hist. l. 2 c. 3.]] croyent que le conte d’Élien n’est qu’une corruption de celui-ci ; c’est-à-dire qu’ils croyent que ce qui se passa entre Apelles et les juges du prix, lorsque ce peintre prefera le jugement d’un cheval au leur, a donné lieu de conter qu’il avoit dit à Alexandre que son cheval s’entendoit mieux en peinture que lui. D’autres[[3:Carlo Dati, pag. 128.]] croyent que ce sont deux aventures toutes differentes. Pour moi j’ai déjà fait connoître mon petit avis, qui est qu’il faut regarder comme une fable l’historiette rapportée par Élien. Le silence de Pline dans une occasion si belle de parler me confirme dans mon sentiment. Pline se seroit-il tû sur de tels faits lors qu’il raportoit l’autre aventure, où Apelles avoit apellé du jugement des arbitres, au jugement des chevaux ? Carlo Dati[[3:Carlo Dati ibid. p. 129]] a observé que dans aucun de ces deux cas Apelles n’avoit parlé en habile peintre, puisqu’il avait supposé que plus on était connoisseur, plus on prenoit la figure pour l’objet même. Mais il faloit prendre garde que cette censure ne peut point tomber sur l’événement que Pline raporte ; car Apelles ne preferoit le jugement des chevaux à celui des hommes, que parce qu’il voyoit que la brigue de ses rivaux avoit corrompu les juges. La remarque de Carlo Dati est très-bonne quant au fond : il est plus facile de tromper ceux qui ne se connoissent pas en tableaux, que de tromper ceux qui s’y connoissent. Il cite Jean-Paul Lomazzo[[3:lib. 3 cap. 1 della pittura.]] : on peut citer désormais M. Perraut[[3:Parallèle des anciens et des modernes, dialog. 2 p. 136.]], qui a très bien refuté les conséquences que l’on tire à l’avantage des anciens peintres, de ce qu’ils trompoient les hommes et les bêtes.

Dans :Apelle, le Cheval(Lien)

, art. « Apelles », p. 299-300

APELLES, l’un des plus illustres peintres de l’Antiquité, étoit nâtif de l’île de (A) Co, et fleurissoit au tems d’Alexandre. Il fut si estimé de ce prince, qu’il fut le seul qui obtint la permission de le peindre. Il en obtint une autre marque de singuliere consideration ; car Alexandre lui ayant donné à peindre l’une de ses (C) concubines, et l’en voyant amoureux, la lui ceda. Il y a lieu de douter qu’Apelles ait abusé autant (D) qu’on dit de la bonté de ce grand monarque. Il étoit apparemment trop bon courtisan, pour ignorer qu’un discours aussi peu respectueux que celui qu’on lui attribuë étoit fort câpable de deplaire.

Notes :

(D) Ait abusé autant qu’on dit de la bonté de ce grand monarque. Pline[[3:Fuit et comitas illi propter quam gratior Alexandro Magno frequenter in officinam ventitanti … sed in officina imperite multa disserenti silentium comiter suadebat, rideri eum dicens a pueris, qui colores tererent. Tantum erat auctoritati iuris in regem alioqui iracundum. Lib. XXXV. Cap. 10.]] a beau dire qu’Apelles s’étoit rendu agreable à ce prince par sa politesse et par sa douceur, il aura de la peine à persuader à ceux qui conoissent Alexandre, qu’un peintre lui ait dit impunément : Taisez-vous, les garçons qui broient mes couleurs se moquent de vous. Il n’est point croyable qu’Apelles ait pu esperer qu’une expression aussi forte que celle-là, de quelque maniere qu’on s’en servît, seroit prise en bonne part ; et l’on a de la peine à croire qu’Alexandre qui avoit été si bien instruit, et dont le genie étoit si beau, ait parlé assez impertinemment de la peinture pour meriter la moquerie du plus petit aprentif. C’est le sentiment du docte Freinshemius : Non[[3:Supplem. in Curtium l. 2 c. 6.]] crediderim in officina imperite multa disserentem ab Apelle mordaci dicterio repressum fuisse. Nam id neque majestati tanti regis, neque modestiae pictoris, hominis non stupidi nec indocti convenisset, et Alexander liberalibus studiis ab extrema aetate imbutus, etiam de artibus quas non calleret haud inepte judicare didicerat. Pour ce qui est de Megabyze[[3:Plusieurs savants croient que Megabyze étoit un nom affecté au prêtre de Diane. D’autres entendent ici par Megabyze un grand seigneur de Perse.]] prêtre de Diane, il ne seroit pas si étonnant qu’Apelles lui eût donné cet avis. C’est lui, si nous en croyons[[3:De discrim. adulat. et amici pag. 58 et de tranquill. animi pag. 471 et 472.]] Plutarque, qui fut censuré de cette maniere par Apelles : Ne voyez-vous pas, lui dît-on, que ces garçons qui broyent l’encre, et qui pendant que vous ne disiez mot, ne jetoient sur vous que des regards de respect à cause de l’or et de la pourpre de vos habits, ne vous ont pas plûtôt ouï raisonner d’une chose que vous n’entendez pas, qu’ils se sont moquez de vous ? Un autre auteur[[3:Ælian. var. hist. l. 2 c. 2. Freinhemius ibid. le cite comme ayant attribué cela à Apelles.]] dit que ce fut Zeuxis qui parla ainsi à Megabyze. [[4:suite : voir Apelle cheval]]

Dans :Apelle et Alexandre(Lien)

, art. « Apelles », p. 299

Il en obtint une autre marque d’une singulière considération ; car Alexandre lui ayant donné à peindre l’une de ses (C) concubines, et l’en voyant amoureux, la lui céda. 

(C). Pline raconte la chose de cette manière Alexander[[3:Lib. 35 c. 10.]] ei honorem clarissimo perhibuit exemplo, namque cum dilectam sibi e pallacis suis praecipue, nomine Pancaspen, nudam pingi ob admirationem formae ab Apelle jussisset, eumque tum pari captum amore sensisset, dono dedit ei. Magnus animo, major imperio sui : nec minor hoc facto quam victoria aliqua, quippe se vicit, nec torum tantum suum, sed etiam affectum donavit artifici ; ne dilectae quidem respectu motus, ut quae modo regis fuisset, nunc pictoris esset. Sunt qui Venerem anadyomenen ab illo pictam expari putant. Élien[[3: Var. Hist. Lib. 12 cap. 24.]] parle de la même histoire, mais il donne le nom de Pancaste à cette maîtresse d’Alexandre. L’article de ce prince contiendra une remarque sur ce sujet; nous ferons voir qu’un homme qui donnoit à peindre toute nuë la plus belle de ses concubines, ne mérite pas les éloges de continent et de chaste qui lui ont été donnez.

Dans :Apelle et Campaspe(Lien)

, art. « Macédoine » , p. 452

(G) Dans le premier feu de sa jeunesse il parut si indifferent à l’égard des femmes, que sa mere craignit que cela n’allât trop loin, et ne procedât d’impuissance ; c’est pourquoi du consentement de son mari elle fit coucher auprès d’Alexandre une très-belle courtisane de Thessalie, afin de fondre la glace, et de reveiller le goût du jeune homme. Callimena (c’étoit le nom de la belle Thessalienne) fit de son mieux à plusieurs reprises pour se faire caresser, et n’obtint rien[[3:Theophrastus referente Hieronymo in epistolis apud Athenaum lib. 10 cap. 10 p. 435.]]. Si ce conte est vrai il faut croire que la nature, qui en toutes autres choses avoit été si diligente pour ce prince, fut paresseuse, et se leva un peu tard sur ce point-là. On debite[[3: Plut. in Alex. p. 676.]] qu’il porta son pucelage en Asie, et que la[[3:  Elle s’apelloit Barsena. Voyez l’article de Memnon.]] veuve de Memnon a été la premiere femme dont il ait jouï, et que quand il se maria il n’avoit eu enore à faire qu’avec cette veuve. Il falut même que Parmenion le poussât à la caresser, quelque capable qu’elle fût de toucher un homme. Si cela est vrai, ceux qui nous parlent de la complaisance d’Alexandre pour Apelles se trompent. Il disent qu’ayant donné à peindre toute nuë la plus belle et la plus cherie de ses[[3:Elien la nomme Pancaste et Pline Campaspe.]] concubines à Apelles, et s’étant aperçu qu’Apelles en étoit devenu amoureux, il lui en fit un present. Cette histoire et celle de Plutarque sont incompatibles, car la veuve de Memnon ne fut prise que lors qu’Alexandre se rendit maître de Damas ; et ce fut a Ephese qu’il connut Apelles, assez longtemps avant la prise de Damas. On pourroit rendre compatibles ces deux histoires, si l’on supposoit qu’Alexandre n’avoit point encore jouï de sa concubine lors qu’il en fit cession au peintre, ou qu’il la lui donna à peindre depuis la prise de Damas. Mais la 1. de ces deux suppositions est contre l’histoire même dont il s’agit ; car Pline[[3:Se vicit, nec torum tantum suum, sed etiam affectum donavit artifici. Plin l. 35 c. 10.]] qui la raporte ne se contente pas d’observer que cette maîtresse étoit fort[[3:Selon Pline le portrait de Venus sortant des ondes, fut fait sur celui de Campaspe.]]  belle, et la plus aimée de toutes les concubines d’Alexandre, il remarque encore que ce prince ceda son lit et son affection au peintre. Élien, qui raporte la même histoire marque cette circonstance, que la concubine en question[[3:Ταύτῃ καὶ πρώτῃ φασὶν ὁ Ἀλέξανδρος ὡμίλησεν. Cum qua primum Alexander rem habuisse dicitur. Aelian. var. histor. L. 12 c. 38.]] étoit de Larissa en Thessalie ; et la premiere femme qui eût fait sentir à Alexandre ce que c’est que le plaisir Venerien. La 2. supposition n’a nulle ombre de vraisemblance : auroit-on envoyé à Ephese une femme d’une si grande beauté, et qu’on aimoit si tendrement, l’y auroit-on, dis-je, envoyée de si loin, pour l’y faire peindre toute nuë ? Et si l’on avoit mandé Apelles, ne verrions-nous pas cette circonstance dans les auteurs qui ont conservé la memoire de ce beau present ? Outre que cette seconde supposition n’ôte pas l’incompatibilité qui est entre Élien et Plutarque. Jusqu’ici donc ce dernier auteur n’a guere prouvé la continence de son heros.

Dans :Apelle et Campaspe(Lien)

, art. "Macédoine", p. 453

Quelque louange qu’il ait méritée en certaines occasions par rapport à la continence, il s\'en faut bien que sa vie n’ait été dans l’ordre (H) sur ce chapitre. 

(H) C’est déjà une chose qui tient du dereglement que d’avoir épousé 3 ou 4 femmes sans être veuf, et que d’avoir donné à peindre nuë sa concubine Pancaste. Les plaisirs de l’attouchement ne suffisoient pas à sa passion, il vouloit encore repaître ses yeux de la nudité en peinture de sa maîtresse ; signe évident qu’il les repaissoit aussi de la nudité originale : il donnoit donc dans l’excès, et dans un excès que le Dieu Mars galant de Vénus ne connaissoit pas. On pardonneroit plus facilement ce mauvais plaisir aux personnes qui ne pouvant avoir que cela, pascon gli avidi sguardi. Mais cette debauche d’Alexandre quelque criminelle qu’elle fût, n’est rien en comparaison de ce qu’il fit après ses grandes prosperitez. Je ne parle pas des concubines qu’il voulut avoir au même nombre que Darius, c’est-à-dire autant qu’il y a de jours dans l’année, car l’historien[[3:Diod. Siculus l. 17. Quinte Curce l. 6 c. 6 les met au nombre de 300.]] qui rapporte que ces concubines se presentoient chaque soir au Roi, afin qu’il en choisît une pour passer la nuit avec elle, temoigne qu’Alexandre faisoit rarement ce choix. Il est certain que les princes de l’Orient, et Salomon tout le premier à leur exemple, qui se piquoient d’avoir tant de femmes, ne couchoient pas avec toutes. Ils en usoient avec elles à peu près comme aujourd’hui les sultans ; ils en assembloient un grand nombre, afin de faire un meilleur choix de quelques-unes ; les autres servoient à montrer leur opulence, comme font tant de meubles inutiles des maisons riches dont on ne se sert jamais, et que[[3:Exilis domus est ubi non et multa supersunt, et dominum fallunt, et prosunt furibus. Horat. epist. 6 l. 1.] même l’on ne conoît pas. Les Rois qui se piquent d’avoir les plus belles écuries ne montent qu’un très-petit nombre de leurs chevaux ; ils en laissent vivre et mourir la plus grand’ part sans jamais les essayer. Quelques-uns dressent de magnifiques bibliothèques et ne touchent jamais à aucun livre. Ce seroit donc une preuve un peu équivoque de l’impudicité d’Alexandre, que d’alleguer le grand nombre de ses concubines ; quoi qu’il soit certain que[[3:Pellices 360. totidem quot Darii fuerant, regiam implebant ; quas spadonum greges, et ipsi muliebris pati adfuuti, sequebantur. Haec luxu et peregrinis infecta moribus veteres Philippi milites, rudis natio ad voluptates aversabantur. Q. Curtius l. 6 c. 2 et 3.]] cet attirail et le reste du bagage ait justement scandalisé ses anciens sujets, et doive flétrir sa memoire ; mais voici des temoignages plus formels contre sa reputation. Il faisoit mettre[[3:Q. Curtius l. 5. c. 6 et l. 6 c. 2.]] à sa table quantité de femmes de joye, et il accepta[[3: Narbazanes accepta fide occurrit, dona ingentia ferens, inter quae Bagoas erat specie singulari spado, atque in ipso flere pueritiae, cui et Darius adsuetus et mox Alexander adsuevit. Id. l. 6 c. 5.]] Bagoas qui avoit été le mignon de Darius.

Dans :Apelle et Campaspe(Lien)

, art. « Apelles », p. 301

Le chef-d’œuvre d’Apelles étoit le portrait (G) de Venus sortant de la mer.

(G) Auguste le consacra dans le temple de Jules Cesar. Les parties inferieures en étoient gâtées, et personne ne fut capable de les retablir. Le tems acheva de ruïner le reste, et alors Neron fit faire une autre Venus par Dorothée, et la substitua à celle d’Apelles. Venerem exeuntem e mari Divus Augustus dicavit in delubro patris Caesaris quae Anadyomene vocatur, versibus Graecis tali opere dum laudatur victo, sed illustrato : hujus inferiorem partem corruptam qui regiceret non potuit reperiri. Verum ipsa injuria cessit in gloriam artificis. Consenuit haec tabula carie, aliamque pro ea Nero principatu substituit suo. Ce sont les termes de Pline au chapitre 10. du 35. Livre. Je raporte dans la remarque C le passage où il dit que la maîtresse d’Alexandre fut l’original d’après lequel cette Venus fut tirée. L’article de Phryne nous aprendra  une tradition differente de celle-ci.

Dans :Apelle, Vénus anadyomène (Lien)

, art. « Apelles » , p. 301

On parle d’un autre portrait de Vénus qu’il avait commencé, qui aurait surpassé le premier, si la mort (H) ne l’eût empêché de le finir. M. Moreri a pris (I) l’un de ces tableaux pour l’autre.

(H) Si Calcagnini avoit mieux aimé raporter le temoignage des anciens auteurs, que dire les choses de sa tête, il n’auroit pas assûré qu’Apelles laissa volontairement imparfaite sa Vénus Anadyomene. La raison de cette conduite, dit-il, fut qu’Apelles desespera que la conclusion fût digne du commencement. Sed[[3:Lib. 13 p. 177 apid Carolum Dati ubi supra, p. 145.]] ô me multo Apelle incautiorem! Ille enim tanta felicitate Veneris emergentis partes superiores expressit, ut diffisus penicillo reliquas posse absolvere desperaverit, atque ita in admirationem posteritatis tabulam inchoatam reliquerit. Carlo Dati qui accuse cet auteur de beaucoup de choses sans dire d’où il les prend, en donne deux autres exemples. Il est certain que les paroles de Pline convainquent de fausseté le Calcagnini ; on va le voir. Apelles[[3:Plin. l. 35 c. 10 p.m. 212.]] inchoaverat et aliam Venerem Coi, superaturus etiam illam suam priorem. Invidit MORS peracta parte, nec qui succederet operi ad praescripta lineamenta inventus est. Cicéron en deux[[3:Epist. 9 ad fam. L. I de Off. L. 3 c. 2.]] endroits de ses œuvres dit simplement qu’Apelles laissa cette Venus imparfaite.

(I) Voici comment il s’exprime. Les plus belles de toutes les pieces d’Apelles furent deux portraits de Venus, dont l’une qui sortoit de la mer fut nommée Anadiomene, et l’autre est celle qu’il fit pour ceux de l’Ile de Co dont Ovide parle en ces termes. Si Venerem Cous nusquam posuisset Apelles, Mersa sub aequoreis illa lateret aquis. Il cite Ovide in Sent. il faloit citer le 3. livre de arte amandi. Il faut savoir qu’Apelles n’acheva pas le second de ces deux portraits, Pline[[3:Voyez la remarque precedente.]] l’assûre formellement. Quelle apparence qu’Ovide ayant deux portraits de Venus à alleguer, l’un fini, l’autre à moitié fait, eût laissé celui-là, pour ne parler que de celui-ci ? Pour en user de la sorte il faudroit ne savoir pas les plus communes loix du raisonnement. De plus le 2. vers est une allusion manifeste à la Venus Anadyomene, c’est-à-dire sortant des ondes. Il s’agit donc du premier portrait. Nous savons que Venus avoit cette attitude dans celui-là, nous ne savons pas celle qu’elle avoit dans le second. J’ajoûte que si les deux vers d’Ovide étoient sortis de sa plume tout tels qu’on vient de les raporter, il auroit très-mal raisonné : il faut donc les corriger en cette maniere, et alors ils formeront une preuve raisonnable de ce qui precede.

Si Venerem Coïs nusquam posuisset Apelles,

Mersa sub aequoreis illa jaceret aquis.

Les plus fins critiques aiment mieux mettre Cous que Coïs. Je croi qu’ils ont raison, encore qu’il soit apparent qu’Apelles fit sa Venus Anadyomene pour les habitants de l’Ile de Co ; car c’est d’eux qu’Auguste l’obtint, et il leur remit en consideration de ce portrait la somme de cent talens, sur le tribut qu’ils devoient à son epargne. Ils avoient cette Venus dans le temple d’Esculape, avec l’Antigonus du même peintre. Lacter[[3:In Catalogo Artificum, in Apelle, pag. 22.]] promontorium est Coa insulae in cujus suburbio est aedes Aesculapii nobilitata Antigono Apellis…. conspiciebatur ibidem quoque ejusdem artificis Venus Anadyomene. Νῦν ἀνάκειται τῷ θεῷ Καίσαρι ἐν Ρώμη, τοῦ Σεβαστοῦ ἀναθέντος τῷ πατρὶ τὴν ἀρχηγέτιν τοῦ γένους αὐτοῦ. Φασὶ δὲ τοῖς Κῴοις ἀντὶ τῆς γραφῆς ἑκατὸν ταλάντων ἄφεσιν γενέσθαι τοῦ προσταχθέντος φόρου[[3:Strabo l. 14 p.m. 452.]]. Qua nunc dedicata est divo Cesari, Augusto consecrante patri generis sui patronam. Ajunt Coïs pro pictura fuisse remissa centum talenta de imperati tributi summa. Pline pourroit bien avoir ignoré que la Venus Anadyomene eût été faite pour l’Ile de Co : on ne doit donc pas s’étonner qu’il ne le dise que de la seconde Venus d’Apelle.

Il me vient un scrupule que je m’en vais proposer : je ne sais si Pline ne multiplie pas les êtres sans nécessité quand il parle d’une Venus Anadyomène, et d’une autre Venus commencée pour les habitants de l’Ile de Co. Le fondement de mon scrupule, est que la première Venus n’étoit dans l’état de perfection qu’à l’égard du haut du tableau. C’est Pline qui nous l’apprend[[3:Lib. 25. p. 212.]], et qui ajoute qu’aucun peintre n’osa reparer ce qui s’en étoit gâté. Or l’autre Venus n’étoit finie qu’à l’égard des parties superieures, et aucun peintre n’eut le courage d’entreprendre ce qui y manquoit. C’est encore Pline[[3:Ibid.]] qui nous l’apprend. Je croi qu’il est le seul qui fasse cette remarque touchant deux Venus d’Apelles defectueuses aux mêmes endroits. Les autres auteurs ne la font que de la Venus d’Apelles en général ; et lorsqu’ils parlent de cette autre Vénus ils la mettent[[3:Voyez Cicéron, de Off. L. 3 c. 2, de natura deor. L. I in Verrem orat. 9]] dans l’Ile de Co, et nous avons vu que c’est de cette île qu’Auguste tira la Venus Anadyomene. Il pourroit donc bien être que Pline a manqué d’exactitude. Je m’en raporte à ceux qui voudront bien prendre la peine d’examiner mon petit doute.

Dans :Apelle, Vénus inachevée(Lien)

, art. « Timomaque », p. 1165

Peintre celebre nâtif de Byzance, vivoit du tems de Jules Cesar. Il fit un[[3:Moreri dit très-improprement, Des tableaux d’une Medée et d’un Ajax.]] Ajax et une Medée, qui furent achetez 80 talens par cet empereur, pour être mis au temple de Venus[[3:In Veneris Genetricis aede. Plin. l. 35 cap. 11.]]. La somme est un peu forte, c’est 192 mille livres monnoye de France, selon la supputation du P. Hardouin. Timomaque n’avoit pas encore mis la derniere main à sa Medée, et c’est ce qui la faisoit encore plus estimer. Pline[[3:Illud perquam rarum ac memoria dignum, etiam suprema opera artificum imperfectasque tabulas, sicut Irin Aristidis, Tyndaridas Nicomachi, Medeam Timomachi et quam diximus Venerem Apellis, in majori admiratione esse quam perfecta. Ibid.]] n’a pas mauvaise grace d’admirer ce caprice du goût des hommes. Il y a dans l’Anthologie quelques épigrammes sur cette Medée, qu’Ausone[[3:Epig. 121. 122.]] a traduites en latin. Ce n’étoit pas l’ouvrage auquel ce peintre eût le plus heureusement reüssi, car outre que l’on n’estimoit pas moins son Iphigenie et son Oreste, l’on jugeoit que sa Gorgone étoit l’ouvrage où son art avoit paru davantage.

Dans :Timomaque, Ajax et Médée(Lien)

, art. « Zeuxis », p. 1280

L’un des meilleurs tableaux de ce peintre étoit un Hercule étranglant des dragons dans son berceau, à la vue de sa mere épouvantée ; mais il estimoit principalement son Athlète, sous lequel (G) il mit un vers qui devint celebre dans la suite.

(G) Si l’on en croit[[3:De gloria Atheniens.]] Plutarque, ce fut sous les tableaux d’Apollodore que ce vers fut mis. Il ne dit pas qu’Apollodore lui-même y marqua cette souscription, comme[[3:De graphice pag. 79.]] Vossius et le P.[[3:In Plin. t. 5 pag. 200.]] Hardouin l’assûrent ; il dit en général qu’on la voyoit aux ouvrages d’Apollodore, οὗ τοῖς ἔργοις ἐπιγέγραπται, Μωμήσεταί τις μᾶλλον ἢ μιμήσεται. Cujus operibus inscriptum fuit, Facilius haec culpabit quis quam imitabitur. Ce n’est pas la seule chose que Plutarque attribuë à Apollodore, au lieu de l’attribuer à Zeuxis comme font d’autres ; il veut aussi qu’Apollodore ait été l’inventeur des ombres dans la peinture, ἀνθρώπων πρῶτος ἐξευρὼν φθορὰν καὶ ἀπόχρωσιν σκιᾶς : Primus hominum invenit colorum temperationem diversorum et umbra coloribus exprimenda rationem. Voici tout le passage selon la version d’Amiot : Apollodorus le premier de tous les hommes qui a inventé les definissements et colorements des ombres estoit Athénien, sur les ouvrages duquel il y avoit escrit, « On l’ira plûtôt regrattant / Que l’on ne l’ira imitant ». Un de nos[[3:Ronsard, voyez sa vie.]] poètes témoigna une pareille confiance eu égard à sa Franciade par ces quatre vers:

Un lit ce livre pour aprendre,

L’autre le lit comme envieux :

Il est bien aisé de reprendre,

Mais mal aisé de faire mieux.

Dans :Zeuxis, l’Athlète(Lien)

, art. « Zeuxis », p.1280

Il ne se piquoit pas (H) d’achever bientôt ses tableaux.

(H) [[3:Plutarque, in Vita Periclis pag. 159.]]Plutarque raporte que Zeuxis sachant qu’Agatharcus se glorifioit de peindre facilement, et en peu de temps, dit que pour lui il se glorifioit au contraire de sa lenteur, parce que c’étoit le moyen de faire un ouvrage de longue durée. Le même Plutarque dans un autre[[3:Celui de la pluralité d’amis ch. 4.]] livre raporte la chose, comme si Zeuxis avoit avoüé à quelques-uns qui lui reprochoient sa lenteur, qu’à la vérité il étoit longtemps à peindre, mais que c’étoit aussi pour longtemps. Tout le monde le fait repondre qu’il peignait pour l’éternité : et c’est ainsi qu’en dernier lieu on a apliqué sa pensée au dictionnaire de l’Académie française, dans la Préface de celui de Furetière. C’est à ceux qui amplifient la vanterie de ce peintre à voir quels garans ils en ont.

Dans :Zeuxis et Agatharcos(Lien)

, art. « Zeuxis », p. 1279-1280

Il ne faut pas oublier que Zeuxis ayant disputé le prix de la peinture avec Parrhasius, le perdit (F) ; voici comment. Zeuxis avait si bien peint des raisins, que les oiseaux fondoient dessus pour les bequeter. Parrhasius peignit un rideau si artistement, que Zeuxis le prit pour un vrai rideau qui cachoit l’ouvrage de son antagoniste, et tout plein de confiance il demanda que l’on tirât vite ce rideau, afin de montrer ce que Parrhasius avoit fait. Ayant connu sa méprise il se confessa vaincu, puisqu’il n’avoit trompé que les oiseaux, et que Parrhasius avoit trompé les maîtres mêmes de l’art. Une autre fois il peignit un garçon chargé de raisins : les oiseaux volerent encore sur ce tableau ; il s’en dépita, et reconnut ingénûment que son ouvrage n’étoit pas assez fini, puisque s’il eût aussi heureusement representé le garçon que les raisins, les oiseaux auroient eu peur du garçon. On dit qu’il effaça les raisins, et qu’il ne garda que la figure où il avoit le moins réussi.

(F) Ordinairement on raporte avec peu de netteté le fait qui concerne les oiseaux, que Zeuxis trompa par des raisins en peinture. Si l’on consultoit bien Pline on ne tomberoit pas dans la confusion ; car on verroit que Zeuxis fit deux differents tableaux qui se rapportent à ce fait, et qui eurent chacun leur avanture particuliere. Je ne remarque point que beaucoup d’auteurs racontent, que Zeuxis voulut tirer lui-même le rideau de Parrhasius : ce n’est pas ainsi que Pline raporte la chose ; mais c’est une alteration des circonstances trop petite pour en parler. On a beaucoup plus de raison de trouver étrange, que le Dictionnaire de Moreri ne dise rien du defi, ou de la gageure, de ces deux peintres, et que Mrs. Lloyd et Hofman n’en disent qu’un petit mot. Pour ce qui regarde l’autre tableau où un garçon portoit des raisins, M. Moreri en a parlé d’une manière qui ne lui sauroit faire d’honneur : puisqu’il en a retranché les principales circonstances, n’ayant rien dit du jugement que Zeuxis porta lui-même de ce tableau. Mr. Hofman n’a pas oublié cela, mais il s’est servi d’une phrase qu’il devoit entierement suprimer ; eadem ingenuitate, dit-il, processit (Zeuxis) iratus operi ac dixit. Ces paroles sont de Pline, et font un très-bel effet dans l’original, où elles ont relation à l’histoire de la gageure, c’est-à-dire au narré de Pline, touchant l’ingenuité avec laquelle Zeuxis avoüa qu’il étoit vaincu. Mais lorsque dans un article où il n’y a rien de cette ingenuité, on nous vient apprendre que Zeuxis reconut avec la même ingenuité, etc., on nous jette dans des tenebres impenetrables, où nous pouvons seulement conjecturer que l’on nous donne une piece toute tronquée. Presque tous les abbreviateurs sont sujets à ce defaut.[[3:On en peut voir des exemples dans le livre de Mr. Gronovius de pernice Judae. Voyez Nouvell. de la Republ. des Lettres 1684. mois de Mai, art. 6.]] Mr. Hofman est ici beaucoup plus excusable que Mr. Lloyd, car quand ce dernier a gardé la phrase, eadem ingenuitate processit, qu’il trouvoit dans Charles Etienne, il lui étoit aisé de sentir qu’on la raportoit à une chose à quoi le lecteur de Charles Etienne étoit renvoyé. Mr. Lloyd a suprimé ce renvoi, et par ce moyen il a mis plus de tenebres dans son article. Ce n’est pas que je pretende excuser entierement Charles Etienne, car son ut in Parrhasio supra vidimus, ne lui pouvoit pas donner droit de se servir de ces termes eadem ingenuitate processit, puisqu’il ne venoit pas de parler du succès de la gageure. L’article de Zeuxis est beaucoup meilleur dans[[3:Il y faut corriger la citation de Pline au livre 53. pour 35. Charles Etienne et le P. Cantel dans son Val. Max. in usum Delph. citent le 55.]] Calepin, que dans tous les dictionnaires dont je viens de parler. Mais je n’ai point vu d’auteur qui ait plus mal recité la dispute des deux peintres, que celui[[3:Il s’apelle Oliverius. Voyez le Val. Maxime Variorum de Leyde 1655. pag. 314.]] qui fait le plus de figure dans le Commentaire Variorum sur Valere Maxime. Il assûre que Parrhasius peignit des oiseaux sur une toile, si semblables à la verité, que Zeuxis craignant le jugement des oiseaux, lui donna cause gagnée par une pudeur ingenuë. Je suis fort trompé si la phrase qu’il employe, Zeuxis alitum judicium timens, n’est une corruption de celle de Pline, Zeuxis alitum judicio tumens ; et si cela est, quel exemple n’avons-nous point ici des metamorphoses qui arrivent aux pensées ?

Souvenons-nous que Don Lancelot de Pérouse traite de fable tout ce qu’on a dit de l’effet de ces deux peintures. Il ne croit point que les oiseaux bequetassent la vigne de Zeuxis, ni que Zeuxis ait pris pour un vrai rideau celui de Parrhasius. Voilà comment il se tire de l’objection que cela fournit à ceux qui meprisent l’habileté des Modernes : il nie le fait ; cette methode de résoudre les difficultés est bien commode.[[3:Secondo Lancelloti da Perugia Abbate Olivetano, l’Hoggidi parte 2. Disinganno 15. p. 308.]] Oh, Zeusi con l’uva dipinta, dite voi, trasse gli uccelli a beccarla, il che non habbiamo d’alcuno de’ nostri mentovati[[3:Jacob. Vuympf. ca. 68.]] di sopra. Già io non ho dato dentro con un libro di Farfalloni contra gli antichi historici, e hocci rotto, come suol dire il volgo, un paio di scarpe, intendinla come vogliono i presenti o posteri bell’ingegni, e però non temo, che sono millanterie della Grecia, e Farfalloni di Plinio, e quello dell’uva, e quelli de gli animali, che dessero segno di riconoscere altri della loro specie fatti di colore per naturali. M. Perrault aussi zêlé pour les modernes que Don Lancelot, a trouvé une reponse bien plus solide ; car il allegue des faits semblables et de fraîche date, et qui prouvent que ce n’est pas en cela que consiste la delicatesse de la peinture. Voici ses paroles : On[[3:Perrault. Parallele des anciens et des modernes to. 1 p. 136. édit. de Holl.]] dit que Zeuxis representa si naïvement des raisins que des oiseaux les vinrent becqueter : quelle grande merveille y a-t-il à cela ? Une infinité d’oiseaux se sont tuez contre le Ciel de la perspective de Ruël, en voulant passer outre sans qu’on en ait esté surpris, et cela même n’est pas beaucoup entré dans la louange de cette perspective.... Il[[3:Id. in pag. 137.]] y a quelques temps que passant sur le Fossé des Religieuses Anglaises, je vis une chose aussi honorable à la peinture que l’histoire des raisins de Zeuxis, et beaucoup plus divertissante. On avoit mis sécher dans la cour de M. le Brun, dont la porte étoit ouverte, un tableau nouvellement peint, où il y avoit sur le devant un grand chardon parfaitement bien representé. Une bonne femme vint à passer avec son asne, qui ayant vu le chardon entre brusquement dans la cour, renverse la femme qui tâchoit de le retenir par son licou, et sans deux forts garçons qui luy donnerent chacun quinze ou vingts coups de bâton pour le faire retirer, il auroit mangé le chardon, je dis mangé, parce qu’estant nouvellement fait, il auroit emporté toute la peinture avec sa langue... Pline raconte encore que Parrhasios avait contrefait si naïvement un rideau, que Zeuxis mesme y fut trompé. De semblables tromperies se font tous les jours par des ouvrages dont on ne fait aucune estime. Cent fois des cuisiniers ont mis la main sur des perdrix et sur des chapons naïvement representez pour les mettre à la broche ; qu’en est-il arrivé ? On en a ri, et le tableau est demeuré à la cuisine.

Dans :Zeuxis et Parrhasios : les raisins et le rideau(Lien)

, art. « Zeuxis », p. 1277

Aristote trouvoit ce défaut dans ses peintures, que les mœurs ou les passions n’y étoient pas exprimées ; cependant Pline temoigne tout le contraire à l’égard du portrait de Penelope, dans lequel il semble, dit-il, que Zeuxis ait peint les mœurs.

Dans :Zeuxis et Polygnote : action et caractères(Lien)

, art. « Zeuxis », p. 1277-1278

[[4:suit Zeuxis orgueil]] On ne sauroit dire si cette Hélène de Zeuxis [[5:\"la courtisane\"]] étoit la même qui étoit à Rome du temps de Pline, ou la même qu’il fit aux habitans de Crotone, pour être mise au Temple de Junon. Il ne sera pas hors de propos de dire ici ce que Zeuxis exigea de ceux de Crotone, par raport à ce portrait. Ils l’avoient fait venir à force d’argent, pour avoir un grand nombre de tableaux de sa façon, dont ils vouloient orner ce temple ; et lorsqu’il leur eut déclaré qu’il avait dessein de peindre Hélène (D), ils en furent fort contens, parce qu’ils savoient que son fort était de peindre des femmes. Ensuite il leur demanda quelles belles filles il y avoit dans leur ville, et ils le menerent au lieu où les jeunes garçons aprenoient leurs exercices. Il vit le plus commodément du monde s’ils étoient beaux, et bien faits partout ; car ils étoient nuds : et comme il en parut très content, on lui fit entendre qu’il pouvoit juger par là s’il y avait de belles filles dans la ville, puisqu’on avoit les sœurs des garçons qui lui paraissoient les plus admirables. Alors il demanda à voir les plus belles, et le Conseil de ville ayant ordonné que toutes les filles vinssent en un même lieu, afin que Zeuxis choisit celles qu’il voudroit : il en choisit cinq, et prenant de chacune ce qu’elle avoit de plus beau, il en forma le portrait d’Helene. Ces cinq filles furent fort loüées par les poëtes, de ce que leur beauté avoit obtenu le suffrage de l’homme du monde qui s’y devoit connoître le mieux (E), et leur nom ne manqua point d’être consacré à la posterité. Je pense pourtant qu’il n’en reste plus aucune trace. Ciceron qui nous aprend toutes ces choses, a laissé à deviner à son lecteur que le peintre voulut voir toutes nuës ces cinq jeunes beautez : mais Pline l’a dit expressément ; et même qu’avant que d’en choisir cinq, il les avait vuës toutes en cet état. Il est vrai qu’il veut que Zeuxis ait travaillé pour les Agrigentins, et non pas pour les Crotoniates, et qu’il ne dit point de qui étoit le portrait : à cela près on voit qu’il rapporte la même histoire que Ciceron.

(D) N’avoir dit autre chose sur le portrait d’Hélène, si ce n’est que Zeuxis le fit, est un peché d’omission inexcusable à Charles Etienne, et à Mrs Lloyd, Moreri, et Hofman, veu les singularitez de plusieurs sortes que les Anciens ont raportées touchant ce portrait. Charles Etienne n’a cité que Pline, qui n’en a parlé qu’en passant ; il faloit citer Ciceron et Élien, qui en ont touché les circonstances. Mrs Lloyd et Hofman ne citent à proprement parler que comme Charles Etienne : car encore qu’ils nous renvoyent à Ciceron, il est visible que c’est par raport à Zeuxis en general, et non par raport au portrait d’Helene ; cela, dis-je, est visible, puisqu’ils nous renvoyerent aussi à Plutarque dans la vie de Pericles, où il ne s’agit point du tout de ce portrait. Par la faute des imprimeurs on voit Ciceron cité dans le Dictionnaire de Mr. Lloyd, 2. De Juvent. Et dans celui de Mr. Hofman, libr. 2. de Juventut. au lieu de lib. 2 de Invent. ce qui est capable de faire acroire à plusieurs lecteurs que Ciceron a écrit de Juventute, non moins que de Senectute. Vossius[[3:De graphice pag. 69 in libro de 4. artib. popular.]] a relevé une faute de Boulenger, qui a dit dans son livre de la Peinture, que ce fut Venus et non Helene que Zeuxis peignit, sur les cinq originaux vivans qu’il avoit devant ses yeux : mais en relevant cette faute Vossius en a fait une autre, ayant assûré que Pline ne marque pas moins expressément que Ciceron, que Zeuxis peignit Helene. Il n’est pas vrai que Pline marque cela ; il parle en general d’un portrait. Notez que Celius Rhodiginus a fait un gros solécisme, en[[3:Celius Rhodiginus antiq. lect. lib. 19 cap. 27 pag. m. 1086.]] parlant du tableau d’Helene la courtisane. Zeuxis, dit-il, pictura nobilem, inter caetera ejus artificii, haud parum multa qua circumferuntur, et hominum desideria vix explent, Helenam quandoque ab eo expictam ferunt, cui tantum sane attribuerit, ut non temere nec quemlibet, ac (ut Graeci dicunt), ὡς ἔτυχε, spectatum admitteret, ni ῥητὸν ἀργύριον, id est propositam pecunia quantitatem erogasset. Il est échapé de semblables fautes de langage aux meilleurs auteurs.

(E) On pourroit douter si les cinq filles que Zeuxis choisit, étoient chacune plus belle que celles qu’il ne choisit point. La raison de ce doute est qu’il ne voulut que rassembler en un corps les beautez qui se trouvoient separément dans ces cinq filles : pour cela il n’étoit pas besoin qu’elles fussent toutes fort belles : il suffisoit que les unes eussent les beautez qui manquoient aux autres. Or qui peut nier qu’il n’y ait des femmes d’une beauté fort mediocre, qui à ne comparer que quelque partie à quelque partie surpassent les grandes beautez. Ainsi on ne voit pas que Ciceron, ni les poëtes dont il parle, aient été nécessairement bien fondés, à preferer les cinq filles de Crotone choisies par le peintre d’Hélène, à celles qu’il renvoya. Peut-être en renvoya-t-il ausquelles il ne manquoit que peu de chose, pour être parfaitement belles ; mais qui ne servoient de rien à son but, parce que les mêmes beautez dont elles étoient pourvuës, se trouvoient en un degré plus exquis dans l’une des cinq ; après quoi il suffisoit qu’une autre des cinq, mediocrement jolie d’ailleurs, eût ce peu de chose qui manquoit à celles qu’il renvoya. La question, comme chacun voit, n’est pas importante, on peut la laisser là pour ce qu’elle vaut ; et si l’on veut mettre en fait que Zeuxis choisit les cinq plus belles, non pas à cause que cela étoit necessaire à son entreprise, mais afin de jouir d’un spectacle plus divertissant, je ne m’y opposerai pas. Un des principaux fondemens de l’historiette a été ce qu’on dit ordinairement, qu’il n’y a rien de parfait en ce monde. Cela est surtout veritable en matière de beauté : je m’en raporte à la critique que les belles femmes sont les unes des autres ; et si ne voyent-elles pas tout, comme Zeuxis voulut faire, resolu sans doute de ne suivre pas la méthode dont Horace parle, dans la I. Satire du 2.livre :

[[3:Voici comment Robert et Antoine Le Chevalier d’Agneaux, nâtifs de vire en Normandie ont traduit ces vers. Rien de plus naïf.

Tout ainsi ce qu’en soi le corps a de plus beau,

D’yeux lyncéens ne voy Regarde plus qu’Hypsée aveugle les parties

Qui plus laides y sont. Ebahi tu t’écries

O la greve, ô les bras, mais long nez et courts flancs,

Et grêle cuisse elle a avecques les pieds grans.]]Ne corporis optima lynceis

Contemplere oculis, Hypsea caecior, illa

Quae mala sunt spectes. O crus ! o bracchia ! verum

Depygis, nasuta, brevi latere ac pede longo est.

Au fond le peintre n’avoit besoin que de[[3:Ego sic statuo nihil esse in ullo genere tam pulchrum quo non pulchrius id sit unde illud ut ex ore aliquo quasi imago exprimatur, quod neque oculis, neque auribus, neque ullo sensu percipi potest, cogitatione tantum et mente complectimur… Nec vero ille artifex (Phidias) cum faceret Iovis formam aut Minervae, contemplabatur aliquem e quo similitudinem duceret, sed ipsius in mente insidebat species pulchritudinis eximia quaedam, quam intues, in eaque defixus, ad illius similitudinem artem et manum dirigebat (Cicéron, in Oratore, init.).]] son imagination pour faire le portrait d’une beauté achevée ; car il est certain que nos idées vont plus loin que la nature. Il ne seroit pas plus impossible de trouver des hommes aussi parfaits que les héros de roman, que de trouver des femmes aussi belles que les heroïnes du même pays. Cela est si vrai, que quand les auteurs veulent représenter en peu de mots une personne parfaitement belle, ils se contentent de dire qu’elle surpasse les idées des poëtes et celles des peintres.

(L). […] Je dirai seulement qu’elles[[5:les remarques de Dati sur la vie de Zeuxis.]] m’ont appris une chose que Vossius ne savait pas, c’est que Boulenger n’est pas le premier qui a dit que Zeuxis peignit Vénus, et non pas Helene, sur les originaux vivants qu’il avoit choisis parmi les plus belles filles de la ville. Volaterran et Jean de la Cassa avaient déjà pris en cela l’un pour l’autre : Lipse qui plus est a dit quelque part[[3:Monit. Polit. L. 1 c. 1.]] que ce fut Junon que Zeuxis peignit, et non pas Helene. Je dirai en passant que Carlo Dati a fait un procès à Pline, qu’il n’a point soutenu de bonnes raisons. Il croit qu’à cause que le temple de Junon Lacinia étoit auprès de Crotone dans la Calabre, les Agrigentins n’ont point fait faire à Zeuxis un tableau qui dût être consacré dans ce temple. Mais le temple de Delphes, et celui de Jupiter Olympien, n’étoient-ils pas remplis des dons de toutes sortes de peuples ; comme aujourd’hui Nôtre-Dame de Lorette des ex voto des païs catholiques ? Quand je publiai ce qu’on vient de dire, je ne savois pas que le Tassoni est tombé dans la même faute que Juste Lipse. Questi fu colui, dit-il[[3:Alessandro Tassoni, Pensieri diversi liv. 1. cap. 19. pag. 414.]] en parlant de Zeuxis, che chiamato da gli Agrigentini, o come hanno altri voluto da i [[3:C’est sans doute une faute d’impression pour Crotoniati.]]Protoniati, a fare il ritratto di Giunone, il copiò dalle fattezze più belle di cinque vergine da loro elette fra un numero infinito, che ne vide d’ignude. La langue italienne n’est guere moins exposée aux équivoques que les langues mortes : si un Français donnoit à ses termes l’arrangement que l’on vient de voir dans ceux du Tassoni, on lui attribueroit avec raison d’avoir dit que Zeuxis vit nuës une infinité de filles, et que les Agrigentins en choisirent cinq sur ce grand nombre qui servirent de patron au peintre. Ce n’est point ainsi qu’il faut raporter les circonstances de ce tableau.

Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)

, art. « Zeuxis », p. 1280

On dit qu’ayant peint une vieille femme, il se mit tellement à rire à la vue de ce portrait, qu’il en mourut. C’est Verrius Flaccus qui le raporte. (I)

(I) Il y joint deux vers qui font allusion à cette aventure,

Nam quid modi facturus risu denique,

Ni pictor fieri vult qui risu mortuus est ?

Mais s’il est vrai que Zeuxis soit mort de la sorte, comment a-t-il pu se faire que si peu d’auteurs en ayent parlé ? Qu’y avoit-il dans toute sa vie d’aussi digne de remarque, qu’une telle singularité de sa fin ? Cependant parmi cette foule d’anciens qui ont fait mention de Zeuxis, il n’y a que Verrius Flaccus qui nous ait apris cette singularité. Encore l’a-t-il fait par hasard, et si peu à propos qu’il en a été grondé par son abbreviateur Pompeïus Festus, comme si un fait de cette nature n’eût pas dû entrer dans un ouvrage, où l’on s’étoit proposé de traiter de la signification des mots. Je voudrois que nous eussions le passage de Verrius Flaccus en son entier. Ce qui nous en reste étoit dans le plus pitoyable état du monde, avant que Joseph Scaliger y eût apliqué sa critique divinatrice. Si Mrs. Moreri et Hofman avaient connu cette source, ils l’auroient indiquée, comme cela se devoit, et ils nous eussent donné les deux vers latins un peu plus intelligibles. Le bon Ravisius Textor[[3:Officina ou Theatrum historicum, lib. II, cap. LXXXVII.]] n’a point mis notre peintre dans son catalogue de ceux qui sont morts de rire : c’est sans doute une omission involontaire. Notez que Simon Mayol évêque de Volturara s’est fort trompé sur ce fait. Zeuxis pictor, dit-il[[3:Simon Majolus, Dierum Canicularium, colloq. IV, pag. 165, édit. Romanae 1597.]], deformissimam spectans quandam picturam solutus in risum expiravit. Verrius alter pictor quod anum quandam deformissimam pinxisset eandem mortem in risum solutus obiit, Rhodigino teste lib. 4. cap. 18. Il y a un gros peché d’omission dans ce qu’il conte de Zeuxis, et un peché énorme de commission dans le reste : car ce Verrius prétendu peintre et mort de rire, est un personnage chimerique ; outre que Rhodiginus est très mal cite. Voyez la marge[[3:Zeuxin pictorem risu emortuum prodidit Verrius, dum anum a se pictam ridet affluentius. Caeolius Rhodiginus, lib. IV, cap. XVIII, pag. 107.]] ; vous admirerez la metamorphose des pensées copiées par certains compilateurs : elle est quelquefois aussi surprenante que celles d’Ovide.

Dans :Zeuxis mort de rire(Lien)

, art. « Zeuxis », p. 1277

Il gagna des richesses immenses; et il en fait une fois parade durant la celebration des Jeux Olympiques, où il se fit voir avec un manteau semé de lettres d’or qui formoient son nom. Quand il se vit si riche, il ne voulut plus vendre ses ouvrages ; il les donnoit, et il disoit sans façon, qu’il n’y sauroit mettre un prix égal à ce qu’ils valoient. Avant cela, il en faisoit payer la vuë : on n’étoit admis à voir son Hélène qu’argent comptant ; et de là vint que les railleurs apellerent ce portrait Helene la Courtisane. Il ne fit point difficulté de mettre au bas de ce portrait les trois vers de l’Iliade, où Homère raporte que le bonhomme Priam, et les venerables vieillards de son Conseil, demeurèrent d’accord, que les Grecs et les Troyens n’étaient point blâmables de s’exposer depuis si longtemps à tant de maux pour l’amour d’Helene, dont la beauté égaloit celle des déesses. [[4:suite : Zeuxis Hélène]]

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)